Bienheureux Réginald d'Orléans

( c.1180 - 1220 )

Notice biographique

Extraits du Libellus de Jourdain de Saxe concernant fr. Réginald d’Orléans

Réception miraculeuse dans l’Ordre de maître Réginald par maître Dominique, à Rome.

56. La même année, maître Dominique se trouvait à Rome lorsqu’y parvint le doyen de Saint-Aignan d’Orléans, maître Réginald, qui se préparait à traverser la mer. C’était un homme de grande renommée, savant très docte, illustre par ses dignités, qui avait occupé cinq ans à Paris la chaire de droit canon. À peine arrivé, il tomba gravement malade. Maître Dominique vint lui rendre quelquefois visite. Quand il l’engagea à suivre la pauvreté du Christ et à s’associer à l’Ordre, il obtint son consentement libre et plein d’y entrer, au point que maître Réginald s’y astreignit par voue.

57. Or Réginald guérit de sa maladie grave et d’un péril presque désespéré, non sans l’intervention miraculeuse de la puissance divine. Car la Vierge Marie, reine du ciel, mère de miséricorde, vint à lui sous forme visible au milieu des ardeurs de la fièvre et frotta d’un onguent guérisseur qu’elle portait avec elle, ses yeux, ses narines, ses oreilles, sa bouche, son nombril, ses mains et ses pieds, en ajoutant ces mots : « J’oins tes pieds avec l’huile sainte, pour qu’ils soient prêts à annoncer l’Évangile de paix. » Elle lui fit voir en outre tout l’habit de notre Ordre. Tout aussitôt il se trouva guéri et si subitement reconstitué dans tout le corps que les médecins, qui avaient presque désespéré de sa convalescence, s’étonnaient de constater les signes d’une guérison achevée. Dans la suite maître Dominique fit connaître publiquement ce remarquable miracle à bien des gens qui vivent encore. J’ai moi-même assisté naguère à Paris à une conférence spirituelle où il le raconta à un assez grand nombre de personnes.

Comment maître Réginald traversa la mer, puis, prêchant à Bologne, au retour, fit entrer beaucoup de gens dans l’Ordre.

58. Dès qu’il eut recouvré la santé, maître Réginald accomplit son projet de traverser la mer, bien que la profession déjà l’eût attaché à l’Ordre. Au retour il vint à Bologne, le 12 des calendes de janvier. Il ne tarda pas à se consacrer tout entier à la prédication. Son éloquence était d’un feu violent et son discours, comme une torche ardente, enflammait le cœur de tous les auditeurs : bien peu de gens avaient un tel roc dans le cœur qu’ils pussent se dérober à l’effet de son feu. Bologne tout entière était en effervescence, il semblait qu’un nouvel Élie venait de se lever. Maître Réginald reçut alors dans l’Ordre bien des gens de Bologne, le nombre des disciples se mit à augmenter et beaucoup se joignirent à eux.

Voyage en Espagne de maître Dominique et son retour.

59. La même année, maître Dominique passa en Espagne. Il y établit deux maisons ; l’une à Madrid, qui est maintenant une maison de moniales ; l’autre à Ségovie, qui fut la première maison des frères en Espagne. Au retour, il vint à Paris, en l’an du Seigneur 1219 ; il y trouva une communauté d’environ trente frères.

60. Il n’y demeura que peu de temps et partit pour Bologne, où il trouva, à Saint-Nicolas, un grand collège de frères que le soin et le zèle de frère Réginald élevaient sous la règle du Christ. Tous l’accueillirent avec joie à son arrivée, avec respect et déférence, comme on fait pour un père. Il s’installa chez eux et s’occupa de façonner l’enfance encore tendre de la nouvelle pépinière par ses instructions spirituelles et par ses propres exemples.

Il envoie maître Réginald à Paris.

61. Cependant, il fit passer frère Réginald de Bologne à Paris. Ce fut une désolation parmi les fils que celui-ci avait engendrés récemment dans le Christ par la parole de l’Évangile ; chacun pleurait d’être si rapidement attaché aux mamelles sacrées de sa mère coutumière.

62. Mais tout cela s’accomplissait par un instinct divin. C’était merveille de voir comment le serviteur de Dieu, maître Dominique, lorsqu’il distribuait ses frères de-ci de-là, dans les divers quartiers de l’Église de Dieu, ainsi que nous le rappelions plus haut, le faisait avec certitude, sans hésiter ni balancer, bien que d’autres au même moment fussent d’avis qu’il ne fallait pas faire ainsi. Tout se passait comme s’il était déjà certain de l’avenir, ou que l’Esprit l’eût renseigné par ses révélations. Et qui donc oserait le mettre en doute ? Il n’avait au début qu’un petit nombre de frères, simples pour la plupart et faiblement instruits, et il les divisait, les dispersait en mission à travers les Églises d’une telle manière que les enfants du siècle jugeaient, dans leur prudence, qu’il paraissait détruire l’œuvre ébauchée plutôt que l’agrandir. Mais il aidait ses missionnaires par l’intercession de ses prières et la puissance du Seigneur travaillait à les multiplier.

L’arrivée de maître Réginald à Paris et sa mort.

63. Frère Réginald, de sainte mémoire, s’en vint donc à Paris et se mit à prêcher avec une ferveur spirituelle infatigable, par la parole et par l’exemple, le Christ Jésus et Jésus crucifié. Mais le Seigneur l’enleva bientôt de la terre. Parvenu vite à son achèvement, il traversa en peu de temps une longue carrière. Enfin, il tomba bientôt malade et, arrivant aux portes de la mort charnelle, s’endormit dans le Seigneur et s’en alla vers les richesses de gloire de la maison de Dieu, lui qui, durant sa vie, s’était manifesté l’amant résolu de la pauvreté et de l’abaissement. Il fut enseveli dans l’église de Notre-Dame-des-Champs, car les frères n’avaient pas encore de lieu de sépulture.

Parole de maître Réginald sur la joie qu’il éprouvait dans l’Ordre.

64. Il me souvient que tandis qu’il vivait encore, frère Matthieu qui l’avait connu, dans le siècle, glorieux et difficile dans sa délicatesse, l’interrogea parfois avec étonnement : « N’éprouvez-vous pas quelque répugnance, maître, à cet habit que vous avez pris ? » Mais lui, en baissant la tête : « Je crois n’avoir aucun mérite à vivre dans cet Ordre, répondit-il, car j’y ai toujours trouvé trop de joie. »

De certaine vision qui suivit sa mort.

65. La nuit même où l’esprit de ce saint homme s’envola vers le Seigneur, j’eus une vision. Je n’étais pas encore un frère selon l’habit, mais j’avais déjà émis ma profession entre ses mains. Je voyais donc les frères portés par un navire à travers les eaux. Puis le navire qui les portait coula ; mais les frères sortirent indemnes des eaux. J’estime que ce navire est frère Réginald lui-même, que les frères de ce temps, vraiment, considéraient comme le nourricier qui les portait.

Autre vision.

66. Un autre eut également une vision avant la mort du frère. C’était une fontaine limpide qui se fermait ; deux autres jaillissaient aussitôt pour la remplacer. Je n’ose décider si cette vision disait vrai, car je suis trop conscient de ma propre stérilité. Mais je sais une chose, c’est qu’à Paris frère Réginald n’a reçu à la profession que deux personnes, dont je fus la première ; la seconde était frère Henri, le futur prieur de Cologne, l’ami le plus cher dans le Christ à mon affection singulière, je le crois, entre tous les mortels, vase d’honneur et de grâce, plus rempli de grâce qu’aucune créature que j’aie souvenir d’avoir aperçue dans la vie d’ici-bas. Puisque, dans sa maturité précoce, il s’est hâté de pénétrer dans le repos du Seigneur, il ne sera pas inutile de rappeler quel homme il fut et de quelles vertus.

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